Sur BFMTV en octobre 2019 Jean-Michel Blanquer ministre de l’Education nationale déclare que « le voile n’est pas souhaitable dans notre société.». Ce sujet récurent enflamme le débat national en raison de sa supposée incompatibilité avec les valeurs de la France. Pour les opposant.es cette pratique matérialise la soumission féminine qui ne correspond pas aux valeurs fondamentales prétendues de notre société occidentale : droits des femmes et égalité des sexes. Les féministes opposées à ce nouvel ennemi de la République le cataloguent comme une source de discriminations responsable des violences dans les quartiers populaires. En privilégiant le genre à l’origine, la lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes évacue la question de l’appartenance sociale et raciale. Or comment lutter pour les droits d’un individu sans prendre en compte toutes les catégories sociales qui le produisent et auxquelles il appartient ? C.Delphy explique que l’instrumentalisation du genre produit sexisme et racisme car la violence de genre accompagne toujours la violence de race. Dès lors, comment le refus du voile au motif qu’il rompt l’égalité homme femme, expose les musulmanes à une double peine : sexisme pour elles et racisme pour l’ensemble de leur communauté ?
En dénonçant le voile comme outil d’oppression des femmes, les opposant.es reproduisent paradoxalement un sexisme contre le quel iels luttent. Depuis son origine dans tout le bassin méditerranéen, le foulard marque la domination des hommes sur les femmes, comme en témoignent les trois religions. Les opposant.es au voile justifient les arrêtés et lois qui administrent son usage en raison de l’oppression qu’ils lui reprochent d’exercer sur les femmes. Depuis 2004, la loi permet d’exclure celles qui portent le voile à l’école, or, cette loi restrictive fait montre de sexisme car elle victimise les jeunes filles dans leur agissements privés. En stigmatisant une population souvent déjà discriminée cette législation sexiste amplifie le racisme ordinaire. En prétendant protéger la dignité féminine cette loi ostracise et justifie l’exclusion à partir de la matrice du genre et de l’appartenance.
Cette loi qui installe l’islam sur le devant de la sphère publique témoigne que la France abrite une culture « autre ». Pour Elsa Dorlin celle-ci rentre en conflit idéologique avec la liberté et le droit des femmes, loués par la république française au travers du « renouvellement d’une mythologie nationale ». Ce droit qui devient un critère d’acceptation et d’intégration des populations, transforme le statut des femmes en outil de mesure de l’état de la société. Cibles spécifiques de cette mesure les jeunes filles nourrissent une différence frappée d’un racisme ordinaire. La mise en évidence de la domination masculine contribue à construire l’altérité raciale. Ce racisme, que Colette Guillaumin qualifie d’ « altéro-référentiel » génère des préjugés et des stéréotypes. Cette loi sexiste affecte et dévalorise les jeunes filles en les revoyant à leurs origines, leurs apparences, leurs modes de vie. Ce discours nationaliste qui pointe un sexisme « autre », laisse à penser que la France accorde un traitement favorable pour occulter les violences et les discriminations exercées en son sein, or il camoufle le système patriarcal de la société qui produit les rapports inégalitaires.
Attribuer à « l’autre » un sexisme plus grave et dangereux renvoie les étranger.es à un statut symboliquement inférieur, tout en confortant le racisme et le sexisme ordinaire en France. Cette assimilation enfante des mouvements féministes identitaires anti-immigration qui considèrent la violence des « autres » comme maux principal des violences faites aux femmes. Certaines féministes expliquent les viols à travers la culture sexiste de l’étranger, qui s’apparente à une « menace », associée à leur origine, rejetant la responsabilité des femmes voilées dans le viol. Or, le seul responsable du viol n’est-il pas le violeur ? La culture musulmane est caractérisée comme sexiste et machiste par essence régie par des rapports de domination des hommes et de soumission des femmes. C.Delphy définit ce sexisme qui serait propre aux étrangers comme « extraordinaire », où la considération de la femme dans l’islam en tant que victime, manipulée sert une « double oppression des racisées et des individus renvoyés à l’infériorité en raison de leur sexe ».
Le sujet du voile montre comment le privé anime la politique. Instrumentaliser le genre donne l’illusion que les sociétés occidentales représentent un modèle universel d’égalité, légitimant son imposition aux dominé.es. L’égalité des sexes devient ainsi l’outil d’une politique nationaliste soutenant la non intégration, le rejet voir la haine des musulman.es. L’exotisation de la violence en la dénationalisant s’opère par une délocalisation du patriarcat, plus sévère, ailleurs. Les femmes concernées son exclues du débat et celui-ci se construit autour des discours que portent certain.es sur la diabolisation de l’islam et des musulman.es. Par ailleurs, les justifications d’hommes et de femmes politiques ou de féministes pour interdire le port du voile en public questionnent la notion même de féminisme, basée sur l’émancipation des femmes à travers la libération d’une dépendance. Or, l’imposition d’une conduite à autrui est incompatible avec la liberté de choix et souligne un paternalisme, qui plus est, occidental. « En tant que femme, je n’ai pas de pays. » déclarait Virginia Woolf ; face à la guerre au pays le plus sexiste et à celui qui considère le mieux le droit des femmes à des fins politiques, racistes, et sexistes, je la rejoints pour recommander d’écouter les plus concernées.